Il y a les success stories formatées, et puis il y a Phil Galfond. Ce 30 juillet, le high-staker devenu entrepreneur (et philosophe à ses heures) a posté sur X une confession fleuve, aussi inspirée qu’inspirante, sur ce qu’il appelle “le vrai récit de sa réussite”. Spoiler : ce n’est pas la version qu’on vend dans les séminaires en ligne à 999 $ la place.
La version que tout le monde connaît
Galfond commence par dérouler le récit classique. Celui qu’on connaît tous par cœur parce qu’il coche toutes les cases du mythe méritocratique :
“Je me suis passionné pour le poker. J’ai bossé comme un fou. J’ai pris les meilleurs coachs, j’ai étudié, j’ai grindé avec des potes aussi motivés que moi. J’ai aimé le jeu au point que le travail n’en était plus un. J’ai fait les bons choix mentaux, j’ai évité le tilt, j’ai analysé mes leaks, j’ai progressé.”
Bref : talent, effort, communauté, discipline = succès.
Et Galfond de préciser que tout ça est vrai. Mais, ajoute-t-il aussitôt, ce n’est que la moitié de l’histoire.
La partie qu’on ne raconte jamais
Là où beaucoup se seraient arrêtés sur cette jolie ligne droite vers la gloire, Galfond décide de creuser. De parler de l’autre moitié. Celle qui ne tient pas à ses décisions, mais à ses conditions.
Il raconte un père brillant, capable de lui apprendre les racines carrées à cinq ans. Une mère attentive, qui lui offre un équilibre émotionnel rare. Une famille suffisamment aisée pour payer ses études, son logement, ses livres… et surtout pour lui permettre de démarrer sa carrière sans aucune pression financière.
“Quand j’ai commencé à jouer à 19 ans, je jouais avec mon argent — mais je n’avais jamais eu de vraies dépenses. Je n’avais pas de loyer à payer, pas de dettes, pas de parents malades à charge. J’étais libre de me focaliser sur le jeu.”
Ajoutez à ça des facilités intellectuelles exceptionnelles, un goût naturel pour la logique, une auto-discipline quasi native, et surtout… un petit run good au bon moment. Quand il dépose 100 $ sur un site de poker après avoir perdu sa première roll, il ne bust pas. Et c’est ce petit run qui lui donne la confiance nécessaire pour se mettre sérieusement à bosser son jeu.
“Si j’avais perdu ces 10 buy-ins, cette histoire serait peut-être très différente.”
Contre le mythe du “tout le monde peut réussir”
Ce que Galfond démonte ici, c’est le mensonge (par omission) véhiculé par la plupart des contenus de développement personnel, de coaching, ou même de formation poker. Ceux qui commencent toujours par : “Regarde comme j’ai réussi, voici la méthode, tu n’as qu’à faire pareil.”
Sauf que non. Si t’as pas le même bagage, pas le même environnement, pas les mêmes câblages cérébraux ni le même contexte social, tu ne pars pas de la même ligne de départ. Et le plus violent, c’est que beaucoup ne s’en rendent même pas compte.
“C’est comme si Shaquille O’Neal faisait un tuto ‘Comment dunker’, et que je me pointais à 1m65 en pensant que je peux appliquer les mêmes étirements et routines que lui.”
Sauf que là, il ne s’agit pas de sauter plus haut. Il s’agit de vie, de pression financière, de santé mentale, de conditions d’apprentissage. Et ça, c’est beaucoup plus invisible… et pernicieux.
Pas une excuse, mais un appel à l’honnêteté
Galfond ne dit pas : “Si t’es pas né comme moi, t’y arriveras jamais.” Au contraire. Son propos est nuancé, respectueux, et profondément motivant.
Il dit : reconnais où tu en es, d’où tu pars, et adapte ta stratégie. T’es short stack ? Tu peux pas jouer comme le chip leader. Mais tu peux encore gagner.
Il dit aussi : prends exemple sur ceux qui ont réussi, mais ne tombe pas dans le piège de croire que leur parcours est duplicable à l’identique. Travaille, bien sûr. Mais travaille avec ce que tu as, et non pas avec l’image idéalisée de ce que tu devrais être.
“Discipline, intelligence, régulation émotionnelle… tout ça se travaille. Mais on part tous avec des niveaux différents. Et on oublie souvent de le dire.”
Un Galfond à contre-courant, encore une fois
Dans un monde où les coaches business t’expliquent comment devenir millionaire avec trois routines matinales et une app de méditation, voir un joueur pro admettre ses privilèges, son contexte favorable, son run good, et son humanité… c’est rare.
C’est même devenu un acte politique, quelque part. Une façon de rappeler que le poker — comme la vie — n’est pas une histoire de mérite pur. Mais une combinaison de facteurs, certains choisis, d’autres subis.
Et si plus de joueurs, plus de formateurs, plus de médias, adoptaient ce niveau d’honnêteté, alors peut-être que moins de gens abandonneraient en route en se croyant “nuls”, alors qu’ils jouent simplement en mode hard.
Moralité ?
Ne crois pas sur parole ceux qui te disent : “fais comme moi, et tout ira bien.”
Écoute plutôt ceux qui te disent : “voici ce qui a marché pour moi, mais toi, trace ton propre chemin.”
Et Galfond, encore une fois, montre qu’il est bien plus qu’un joueur de poker.
C’est un joueur lucide.
