Parti pour deux semaines de tournois et de détente sur l’île méditerranéenne, Kevin Dody, joueur de poker français, est aujourd’hui incarcéré à Chypre-Nord pour avoir traversé une zone militaire sans passeport. Une affaire à la frontière du malentendu administratif et du casse-tête diplomatique.
Ils étaient venus pour grinder. Deux semaines de poker, quelques tournois, du soleil, des amis, un Airbnb à Kyrenia (Chypre du Nord), et l’envie d’un dîner à Nicosie. Mais depuis le 17 juillet, Kevin Dody, joueur français, dort en prison. Il a été placé en détention provisoire pour une durée pouvant aller jusqu’à un mois, le temps qu’un juge militaire — actuellement en congés — statue sur son cas.
L’affaire remonte au mardi 16 juillet. Kevin et deux amis prennent la route de Nicosie. En approchant du poste de passage entre la République turque de Chypre du Nord (RTCN, reconnue uniquement par la Turquie) et la République de Chypre (membre de l’UE), Kevin réalise qu’il a oublié son passeport. “On était déjà dans la file, impossible de faire demi-tour, alors on a tenté. On s’est dit que dans le pire des cas, on rebrousserait chemin,” raconte Amine, l’un de ses compagnons de voyage.
Les trois amis passent le premier contrôle sans encombre. Au second, côté chypriote, aucun problème non plus. Ils dînent à Nicosie. Mais sur le chemin du retour, les choses se corsent. Au check-point nord, les autorités demandent les trois passeports. L’absence de celui de Kevin déclenche une série d’interrogations, de vérifications, puis d’accusations : franchissement illégal de zone militaire et tentative de sortie irrégulière du territoire.
“On pensait qu’on était dans l’Union européenne”
“On leur a montré la photo de son passeport sur mon téléphone. On a proposé qu’un ami retourne à l’appartement pour le chercher. On a montré nos billets d’avion, la réservation de l’Airbnb, on a même parlé avec la propriétaire au téléphone… rien n’y a fait.” Les agents refusent de le laisser partir. Interrogatoire, nuit en cellule, documents à signer en turc sans traduction, intervention d’un interprète judiciaire franco-turc : Kevin est présenté le lendemain au tribunal de Lefkoşa.

Menotté, sans pantalon ni chaussures, il comparaît sans avocat, uniquement assisté du traducteur. La juge civile, compétente seulement pour l’urgence, ordonne un placement en détention provisoire d’un mois, dans l’attente du retour du juge militaire.
Pas d’assistance consulaire possible
La France, comme l’ensemble de la communauté internationale à l’exception de la Turquie, ne reconnaît pas la RTCN. Le consulat français de Nicosie Sud ne peut donc intervenir. “J’ai passé la nuit au téléphone avec la ligne d’urgence. Ils nous ont dit qu’ils étaient impuissants”, raconte Amine.
Depuis, les proches s’organisent. Un avocat local a été mandaté, des vêtements et un mandat cash ont été envoyés à la prison. Kevin a le droit à trois visiteurs : sa mère, attendue dans les jours qui viennent, Benjamin, son ami, et le journaliste traducteur, autorisé à lui rendre visite pour suivre le dossier.
À l’origine, Kevin pensait passer quelques jours sur les tables du Merit, l’un des casinos les plus réputés de la région. Il aura finalement rendez-vous avec une tout autre forme de jeu : celui de la justice militaire d’un État non reconnu, où une simple erreur de papiers peut entraîner des conséquences lourdes.
Reste à espérer que le retour du juge militaire permettra une résolution rapide de l’affaire.
