Poker en ligne : une pause après cinq ans d’euphorie

Après avoir connu une croissance soutenue depuis 2019, le poker en ligne en France marque un léger recul. Selon les données publiées début mai par l’Autorité nationale des jeux (ANJ), le Produit Brut des Jeux (PBJ) du secteur a baissé de 2,1 % en 2024, pour s’établir à un peu plus de 442 millions d’euros. Une inflexion qui tranche avec la dynamique globale du marché des jeux d’argent, tiré principalement par les paris sportifs (+19 %).

Plus de joueurs, moins de mise

Ce recul du PBJ ne s’explique ni par un désintérêt pour la pratique, ni par une contraction du nombre de comptes joueurs actifs – bien au contraire. En 2024, le poker en ligne a séduit 11 % de joueurs actifs supplémentaires par rapport à 2023, une hausse notable dans un secteur que l’on disait parfois en perte de vitesse. Chez les 18-24 ans, la progression atteint même +16 %, portée par les synergies avec les événements sportifs de l’été.

Mais cette base élargie masque une autre réalité : le panier moyen par joueur est en forte baisse. De 263 € en 2023, il chute à 233 € en 2024 (-11,5 %), signe d’une pratique plus ponctuelle et moins engagée. Plusieurs facteurs convergent : l’arrivée de nouveaux joueurs au profil hybride – souvent des parieurs sportifs – et la montée en puissance des formats rapides comme les Sit&Go Turbo, qui génèrent désormais 90 % du PBJ des Sit&Go (contre 70 % un an plus tôt).

Une transformation silencieuse du modèle

Ce glissement vers des formats courts n’est pas anodin : il traduit un changement structurel dans la manière de consommer le poker. Loin des tournois longue durée et du “grind” quotidien qui structuraient le modèle post-Black Friday, les nouveaux entrants optent pour une expérience de jeu immédiate, plus proche du divertissement que de la compétition stratégique. Le poker devient un produit d’appel dans une offre globale de jeu, notamment au sein des plateformes multi-verticales.

Pour les opérateurs, cette mutation pose une équation délicate : comment monétiser durablement une audience en expansion mais à plus faible valeur individuelle ? Les stratégies de vente croisée, qui ont connu un pic d’efficacité durant les grands événements sportifs, atteignent ici leurs limites.

Un environnement fiscal en mutation

Autre facteur d’incertitude : le cadre réglementaire. À compter du 1er juillet 2025, les opérateurs de jeux en ligne devront s’acquitter d’une taxe sur leurs dépenses de communication commerciale, à hauteur de 15 %. Certes, la mesure vise spécifiquement les paris sportifs, mais elle pourrait rejaillir sur le poker en ligne si les opérateurs décident de réorienter leur budget marketing, voire de réduire leur présence sur cette verticale.

Un repli à relativiser

Ce léger repli doit toutefois être mis en perspective. Sur cinq ans, le PBJ du poker en ligne a progressé de plus de 60 %, avec un taux de croissance annuel moyen de 12,5 %. En valeur absolue, l’activité reste sur un plateau élevé, très au-dessus des niveaux pré-Covid. Il s’agit donc moins d’un retournement de tendance que d’une phase d’ajustement, dans un cycle post-crise qui appelle une redéfinition des priorités pour les acteurs du secteur.

Le poker en ligne aborde une nouvelle phase de maturité. Porté par une base de joueurs élargie mais moins dépensière, il doit composer avec des formats plus rapides, une concurrence croissante des autres segments de jeu et un cadre réglementaire plus contraignant. Une période de transition qui pourrait dessiner les contours du “nouveau poker” français : plus fluide, plus instantané, mais aussi plus difficile à rentabiliser.